Late diagnosis of breast cancer at the Yalgado Ouédraogo University Hospital (CHU/YO): Causes, therapeutic and prognostic impacts. About 70 cases
Diagnostic tardif des cancers du sein au Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU/YO) : Causes, impacts thérapeutiques et pronostiques. A propos de 70 cas
M. Ilboudo1, RA. Djigemdé, PB. Yameogo, I. Ouedraogo, N. Zongo.
1 Service d’oncologie médicale du Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU/YO), Ouagadougou, Burkina Faso.
2 Service de chirurgie générale et digestive du Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU/YO), Ouagadougou, Burkina Faso.
DOI: 10.54266/ajo.2.2.63
ABSTRACT
INTRODUCTION: Breast cancer is the first cancer of women in Burkina Faso. There remains a relatively late diagnosis and a reserved prognosis. The main aim of this study is to study the causes, therapeutic and prognostic impacts of late diagnosis of breast cancer at Yalgado Ouédraogo University Hospital. MATERIALS AND METHODS: This was a descriptive and prospective study from May 1st to October 31, 2013. The departments of surgery, gynecology and anatomy-pathology served as a framework for our study. All consenting breast cancer patients with a height greater than at least 5 cm (>T2), suspicious or metastatic satellite lymphadenopathy was included. The data analysis was done using Epi-info© software version 7.2.2.6, with the use of the Khi2, Fisher-exact and Student tests. RESULTS: We collected 70 patients with an average age of 46.1 years. In 95.7% of cases, our patients had consulted a traditional therapist or at least one medical center before being referred to the Yalgado Ouédraogo University Hospital. The consultation was less than 6 months in 52.9% of cases. Diagnostic time was statistically associated with source and monthly income with a p-value of 0.03 and 0.05 respectively. Stage III accounted for 62.8% of cases. Surgery was performed in 48.6% of cases, including 23.5% palliative surgery. Chemotherapy was neo-adjuvant in 22%, adjuvant in 48.8% and palliative in 14.6%. The average duration of follow-up was 2.7 months. We had found 20.6% of recidivism and 22% of deaths. CONCLUSION: Poverty, ignorance, socio-cultural constraints and lack of staff reduce patients’ access to early diagnosis, which is responsible for expensive complex treatment and a poor prognosis. Equitable financial and geographic access will reduce diagnostic delays and mortality from breast cancer.
KEYWORDS: Breast cancer; Late diagnosis; Causes; Treatment; Prognosis.
RESUME
INTRODUCTION : Le cancer du sein représente le premier cancer de la femme au Burkina Faso. Il reste de diagnostic relativement tardif et de pronostic réservé. L’objectif est d’étudier les causes, les impacts thérapeutiques et pronostiques du diagnostic tardif des cancers du sein au CHU Yalgado Ouédraogo. MATERIELS ET METHODES : Il s’est agi d’une étude descriptive et prospective allant du 1er mai au 31 octobre 2013. Les services de chirurgie, de gynécologie et d’anatomie-pathologie nous ont servi de cadre d’étude. Toutes les patientes consentantes présentant un cancer de sein ayant une taille supérieure au moins égale à 5 cm (>T2), des adénopathies satellites suspectes ou métastatique ont été incluses. L’analyse des données a été faite à l’aide du logiciel Epi-info© version 7.2.2.6, avec usage des tests de Khi2, de Fisher-exact et de Student. RESULTATS : Nous avons colligé 70 patientes d’un âge moyen de 46,1 ans. Dans 95,7% des cas, nos patientes avaient consulté un tradi-thérapeute ou au moins un centre médical avant d’être référé au CHU Yalgado Ouédraogo. Le délai de consultation était inférieur à 6 mois dans 52,9% des cas. Le délai diagnostique était statistiquement associé à la provenance et au revenu mensuel avec un p-value respectivement de 0,03 et de 0,05. Le stade III a représenté 62,8% des cas. La chirurgie a été réalisée dans 48,6% des cas dont 23,5% de chirurgie palliative. La chimiothérapie a été néo-adjuvante dans 22%, adjuvante dans 48,8% et palliative dans 14,6%. La durée moyenne de suivi était de 2,7 mois. Nous avions retrouvé 20,6% de récidive et 22% de décès. CONCLUSION : La pauvreté, l’ignorance, les pesanteurs socio-culturelles et le manque de personnel réduisent l’accessibilité des patientes au diagnostic précoce, responsable d’un traitement complexe onéreux et un pronostic sombre. L’accès financier et géographique équitable permettra de réduire les délais diagnostiques et la mortalité par cancer du sein.
MOTS-CLES : Cancer du sein ; Diagnostic tardif ; Causes ; Traitement ; Pronostic.
INTRODUCTION
Le cancer du sein est une prolifération cellulaire maligne développée aux dépens des éléments constitutifs du sein (1). Dans le monde, il représente 11,7% de l’ensemble des cancers et occupe le premier rang en termes d’incidence et de mortalité chez la femme (2). L’OMS a estimé à 2,2 millions le nombre de nouveaux cas et à 684.996 le nombre de décès par cancer du sein en 2020 dans le monde (2). Bien que l’incidence soit en augmentation dans la plupart des régions du monde, il y a d’énormes inégalités entre les pays développés et ceux en développement. Les taux d’incidence, plus élevés en occident, contrastent avec une forte mortalité dont plus des 2/3 dans les pays pauvres, faute de détection précoce et d’accès aux traitements (2). En Afrique, le fardeau du cancer du sein est estimé à 24,5 cas pour 100.000 habitants avec une mortalité de 12 pour 100.000 habitants, contre respectivement 93 pour 100.000 et 15 pour 100.000 aux Etats-Unis (3,4). Le Burkina Faso n’est pas en reste car le cancer du sein occupe également le premier rang soit 22,1% de l’ensemble des cancers et 21,3% des cancers féminins (5). Les progrès actuels de la médecine permettent un diagnostic précoce, voire infra-clinique et un pronostic meilleur dans les pays plus équipés et organisés (1). En dépit de ces exploits, 70% des cancers du sein ont toujours été diagnostiqués tardivement en Afrique Subsaharienne, corolaire d’une prise en charge complexe, onéreuse et un pronostic plus sombre (3). Ainsi, la chirurgie, seule arme thérapeutique accessible est soit dans la majeure partie des cas mutilante, palliative ou de propreté. Alors le développement d’approches efficaces et accessibles de détection précoce et de traitement des cancers du sein dans les pays en développement est nécessaire pour améliorer les délais diagnostiques. Beaucoup d’études ont déjà été menées sur le cancer du sein mais non spécifiquement dédiées aux facteurs de diagnostic tardif, et aux impacts de ce dernier sur les modalités thérapeutiques et sur l’évolution du cancer du sein. C’est pourquoi nous avons entrepris ce travail pour élucider les facteurs de retard diagnostic ainsi que l’impact thérapeutique et pronostique associés au diagnostic tardif des cancers du sein au CHU Yalgado Ouédraogo.
MATERIELS ET METHODES
Il s’est agi d’une étude mono-centrique, descriptive et prospective réalisée dans les services de chirurgie générale et digestive, de gynécologie-obstétrique, et d’anatomie-pathologique du Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouédraogo. Elle a été réalisée entre le 1er Mai et le 31 Octobre 2013. La population d’étude était constituée par l’ensemble des patientes suivies pour cancer de sein dans lesdits services pendant cette période. Un échantillonnage non probabiliste exhaustif a été effectué. Ont été inclus dans l’étude tous les cas de cancer de sein localement avancé. Nous avons considéré comme tumeur localement avancée celles de stade supérieur à T2 avec ou sans extension ganglionnaire, toutes tumeurs avec des adénopathies axillaires, et toutes les tumeurs métastatiques quelle que soit leurs tailles. Les données ont été recueillies après consentement éclairé des patientes à l’aide d’une fiche d’enquête préétablie lors d’un entretien dans la discrétion et la confidentialité. Les informations manquantes ont été complétées à partir du dossier médical du malade. Les variables étudiées étaient le délai de consultation, la taille et le stade de la tumeur, le nombre d’étapes dans le parcours de soins de la patiente avant la consultation au CHU/YO, l’âge, le niveau d’instruction, le revenu, la circonstance de découverte, le motif de consultation, l’histologie, le délai de prise en charge, le traitement reçu et l’évolution. Pour le suivi, les patientes ont été vues avant leur inclusion dans l’étude et revues au début et à la fin de chaque traitement. Elles ont été suivies de façon systématique tous les trois mois jusqu’à la fin de l’étude ou leur décès. L’analyse des données a été faite à l’aide du logiciel Epi-info© version 7.2.2.6, avec usage des tests de Khi2, de Fisher-exact et de Student. Le p-value est dit significatif si ≥ à 0,05.
RESULTATS
Nous avons colligé 70 cas de cancer de sein en retard diagnostic, soit 81,4% (70/86 cas) de l’ensemble des patientes suivies durant la période. L’âge moyen des patientes était de 46,1 ans ± 6 avec des extrêmes de 26 et de 105 ans. La tranche d’âge la plus représentée était celle de 36 à 45 ans. Quarante-huit patientes (68,6%) étaient âgées de moins de 50 ans. Les patientes vivantes en zone urbaine représentaient 64,3% (45 cas) des cas. Les femmes au foyer et les sans-emplois ont été retrouvées dans 75,8% des cas (53 cas). Les patientes ayant un niveau d’instruction faible (non alphabétisé, alphabétisation non formelle et primaire) représentaient 77,1% des cas. La figure 1 donne la répartition des patientes selon le niveau d’instruction.

Quarante-six patientes soit 65,7% avaient un revenu faible. Aucune patiente n’avait une assurance maladie ou une affiliation à une mutuelle de santé. Le délai médian de consultation était de 16,5 mois avec 2 et 30 mois comme 1er et 3ème quartile respectivement. Le délai moyen de consultation des patientes ayant consulté directement au 3ème échelon (CHU/YO) était de 4,7 mois. Le nombre moyen de contact (parcours ou étapes) avec un tradi-thérapeute, les échelons 1 et 2 du système sanitaire avant d’atteindre l’échelon 3 où le diagnostic et la prise en charge du cancer du sein se font était de 2, avec des extrêmes de 0 et 6. Le délai de consultation était associé statistiquement à la provenance, au niveau d’instruction, au revenu mensuel et au nombre d’étape supérieur ou égal à 2, avec un p-value respectivement de 0,03, 0,05, 0,025 et 0,05. Ce délai était inférieur ou égal à 6 mois dans 52,9% des cas. Soixante-sept patientes, soit 95,71% avaient parcouru au moins une étape (automédication, traitement traditionnel, un ou plusieurs centres de santé) avant la consultation au CHU/YO. La référence directe vers le niveau tertiaire a été retrouvée dans 34,3% des cas. L’automédication et le traitement traditionnel ont été rapportés respectivement dans 12,9% (9 cas) et 37,1% (26 cas) des cas. Dans les centres de santé primaires ou secondaires, 62,8% (44/70) des patientes ont été prises en charge. Il s’agissait de traitement médical dans 56,8% (25/44) et chirurgical dans 43,2% (19/44). La découverte de la maladie s’est faite devant des manifestations cliniques chez toutes les patientes. Les nodules et l’ulcération du sein ont représenté respectivement 34,4 et 37,1% des motifs de consultation. La taille tumorale était supérieure à 5 cm dans tous les cas. Le sein gauche était atteint dans 62,9% des cas et les deux seins dans 4,3% des cas. L’échographie mammaire ou l’écho-mammographie ont été réalisées chez 51,4% des patientes (n = 37), avec des signes de malignité échographique retrouvés dans 70% des cas. Le sein était classé ACR 3 ou 4 dans 68,1% des cas (15/22). Toutes les patientes avaient une histologie mais pas d’immunohistochimie. Le carcinome infiltrant de type non spécifique a représenté 84,3% (n = 59) des cas. Le carcinome médullaire a été retrouvé chez 3 patientes (4,3%). Le score histo-pronostic d’Ellis et Elston II et III a représenté 98,3% des cas (58/59). Il n’était pas précisé chez 11 patientes soit 15,7% des cas. Dix-sept patientes, soit 24,3% étaient d’emblée métastatiques. La localisation secondaire était hépatique dans 5 cas, pulmonaires dans 4 cas et les deux en même temps dans 5 cas. La tumeur était classée T4 dans 78,6% cas. Le délai moyen entre le diagnostic et la chirurgie était de 2,5 mois ± 1,2 avec des extrêmes de 1 et 7 mois. Il était de 1,2 mois ± 0 avec des extrêmes de 1 et 2 mois entre la chirurgie et la chimiothérapie adjuvante. La chirurgie a été réalisée chez 34 patientes (48,6% des cas), a type de mastectomie. Elle a été d’emblée dans 82,2% (n = 28) des cas dont 75,6% de mastectomie selon Madden et 23,5% de mastectomie de propreté. La répartition des patientes selon les modalités thérapeutiques est représentée dans le tableau 1.

La chimiothérapie a été réalisée chez 41 patientes soit 58,6% des cas dont 48,8% en adjuvant, 22% en néo-adjuvant et 14,6% les deux. Celle dite palliative a été réalisée dans 6 cas soit (14,6%). Le protocole FAC (5-Fluoro-uracile, Adriamycine, Cyclophosphamide) a été administré dans 68,3% des cas, suivi du TAC (Taxotère, Adriamycine, Cyclophosphamide) à 14,6%. Le nombre moyen de cures était de 4,3 cures ± 1,75 avec des extrêmes de 1 et 13 cures. Neuf patientes, soit 12,9% avaient bénéficié d’une hormonothérapie de façon systématique à l’aveugle dont 8 cas (88,9%) à base de Tamoxifène et 1 cas à base de Letrozole. Aucune patiente n’avait bénéficié d’un dosage des récepteurs hormonaux avant l’institution de l’hormonothérapie. Une seule patiente a fait une radiothérapie au Ghana. Une abstention thérapeutique a été optée pour 4 patientes métastatiques avec un stade statut performance de l’organisation mondiale de la santé (PS/OMS) à 4. La durée moyenne de suivi était de 2,7 mois ± 1,5 avec des extrêmes de 8 jours et 6 mois. Les effets secondaires rencontrés dans notre étude étaient l’alopécie, l’anémie, la neutropénie, les nausées, vomissements chez toutes les patientes, 2 cas de diarrhée, 2 cas de réactions allergiques cutanées, 2 cas de stomatite et 1 cas d’état de choc anaphylactique survenu quelques minutes après le début de la perfusion du Docétaxel. Des complications post-opératoires sont survenues dans 50% (17/34) des cas à type de lymphocèle et de suppuration. La rémission partielle a été notée 17,1% (7/41) après chimiothérapie néo-adjuvante. La poursuite évolutive a été retrouvée dans 46,3% des cas (19/41). Le taux de récidive était de 20,6%. Les taux de perdu de vu et de mortalité étaient de respectivement 15,7 (11/70 cas) et 22% (13/59 cas).
DISCUSSION
Nous avons enregistré 86 cas de cancer de sein dont 81,4% (70 cas) en retard diagnostique. Ce constat est conforme aux données de la littérature africaine (6–8). L’ignorance, les pesanteurs socioculturelles et l’accès limité au diagnostic expliqueraient en partie ce taux important des patientes en retard diagnostique. L’âge moyen des patientes qui était de 46,1 ans, est superposable à celui rapporté par les auteurs nigérians et maliens (9,10) mais demeure inférieur à celui rapporté dans la littérature ouest-africaine et gabonaise qui variait de 47,9 à 49 ans (8,11,12). Le cancer du sein apparaît précocement chez les femmes de race noire africaines ou afro-américaines. Il est plus agressif et d’évolution rapide d’autant plus que le sujet est jeune (13). Les femmes au foyer étaient les plus représentées avec 70,1% des cas. D’autres auteurs africains ont fait le même constat (8). Alors les croyances, les traditions et les ressources financières limitées contribueraient à reléguer au second plan tout ce qui a trait à la femme, une politique d’autonomisation de la femme et une sensibilisation culturellement adaptée sur le cancer du sein permettraient un diagnostic précoce dans cette couche sociale marginalisée. La plupart des patientes vivaient en zone urbaine (64,3%). Celles provenant des zones rurales étaient assujetties à un long délai de consultation. Notre constat corrobore celui d’autres auteurs africains (8,14). La maladie serait plus répandue dans les communautés urbaines que dans les communautés rurales en raison de l’adoption du style de vie plus occidentalisé (en particulier des modes de reproduction caractérisés par un âge tardif à la première grossesse à terme, une parité plus faible, une durée de l’allaitement maternel inférieure à 6 mois et une augmentation du poids post-ménopausique). Le caractère mono-centrique et urbain de notre étude justifierait cela d’une part. D’autre part, la confiance accordée à la médecine alternative, la représentation sociétale de la maladie et l’accès limité aux services de santé qualifiés font qu’en zone rurale, plusieurs patients décèderaient sans accès à un diagnostic. Toutes ces raisons soutenues par la pauvreté et l’ignorance conduisent inéluctablement au retard diagnostique des cancers du sein. La sensibilisation reste le moyen efficace d’optimisation du diagnostic précoce des cancers du sein. Le faible niveau d’instruction représentait 77,1% des cas. Notre constat est assimilable à celui des auteurs tunisiens (15). Cela dénote d’un taux l’alphabétisation faible. La gratuité de l’éducation quoiqu’effective au Burkina Faso, peine à avoir l’engouement afin de réduire l’ignorance de nos populations en matière de santé. La majorité des patientes avait un faible revenu mensuel (65,7%). Ezoeme (10) au Nigéria a fait le même constat. Le bas niveau socio-économique de la population en général et la place qu’occupe la femme dans la famille (absence de prise de décision par la femme de recourir aux soins) pourraient expliquer le retard à la consultation et donc un diagnostic tardif. L’éducation est un facteur clé du statut socioéconomique qui influe sur les modes de vie, les modèles de comportement, les facteurs de reproduction, tels que la parité et même le stade de la présentation. Le statut socio-économique faible était corrélé à un diagnostic tardif de cancer du sein. Un faible niveau d’éducation et un statut socio-économique faible conduisent à une mauvaise compliance au dépistage par la population surtout à la mammographie dont le coût reste élevé pour bon nombre de nos populations (4,8). Aucune patiente dans notre étude n’était affiliée à une mutuelle de santé, ni à une assurance maladie. Comme de nombreux pays africains, le Burkina Faso évolue dans un environnement économique difficile. Le pays est confronté à un double fardeau d’une pauvreté croissante, exacerbée par un contexte sécuritaire délétère. Tout ceci contribue à éloigner d’avantage la population des centres de prise en charge. En revanche, dans les pays développés comme les Etats-Unis, où le diagnostic est de plus en plus précoce, 98,6% des stades localisés du cancer du sein aux Etats-Unis obtiennent une rémission complète grâce aux progrès thérapeutiques et l’accès aux soins à travers le système de sécurité sociale (16,17). Une sensibilisation de la population, la subvention de la prise en charge et l’instauration d’une assurance maladie universelle seraient plus salvateur pour nos populations. Ce qui les inciterait à des consultations précoces, réduisant ainsi le stade diagnostic et éventuellement un meilleur pronostic. Après la survenue du signe d’alerte, 86% des patientes ont parcouru au moins 2 étapes avant la consultation d’un spécialiste. Cela pourrait s’expliquerait par le fait qu’au Burkina Faso, l’organisation pyramidale du système sanitaire oblige les patients à visiter les centres de 1er contact avant d’être référé au niveau tertiaire. Aussi, le bas niveau économique et d’instruction, l’ignorance des patientes, le poids de la tradition et des croyances amènent les patientes à procrastiner leur consultation malgré les signes. Elles vont consulter en premier lieu les tradi-praticiens, les maisons de prière et même le féticheur ou, ont souvent recours aux médicaments de la rue. En effet, 37,1% des patientes ont eu recours à un traitement traditionnel et 12,9% à l’automédication. Enfin, le long itinéraire pourrait s’expliquer par la méconnaissance des signes cliniques du cancer du sein par certains agents de santé et des erreurs diagnostiques. Ainsi, après la consultation dans les centres de santé, 34,3% seulement ont été référées immédiatement. Le reste avait bénéficié soit d’un traitement médical soit d’une chirurgie mammaire (68,4% des patientes opérées), le plus souvent non adaptée et sans confirmation diagnostique préalable. Une collaboration franche entre les tradi-thérapeutes et les médecins devraient être instituée pour le grand bonbonneur des patientes. En outre, la mise en place d’un centre de cancérologie, et la formation en masse des agents de santé, va permettre de résoudre le problème des retards de référence et de prise en charge inadéquate. L’ulcération était le motif de consultation le plus fréquent dans 37,1% des cas suivie du nodule dans 34,3% des cas. Ce constat est différent de celui retrouvé par les auteurs gabonais qui ont rapporté la tuméfaction dans 74% des motifs de consultation (11). Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que notre étude ne s’est intéressée qu’aux patientes ayant au moins une tumeur localement avancée. Les tumeurs de haut grade et de grade intermédiaire étaient les plus représentées dans 82,8% des cas. Cela a été également rapporté par Intra et al (18) en Italie. Les cancers d’emblée métastatiques lors du diagnostic ont représenté 24,3% cas. Ce constat est superposable à celui de Mayi-Tsonga et al (11). Les symptômes étaient considérés inoffensifs et temporaires par les patients. Cela démontre une mauvaise connaissance de nos populations des signes avant-coureurs et symptômes du cancer du sein, de la gravité que ces symptômes peuvent atteindre avec le temps, d’être irréversibles et même de se révéler fatal aux stades avancés. D’où l’intérêt d’une sensibilisation de population sur l’histoire naturelle du cancer du sein. La chirurgie demeure le pivot de la prise en charge. Aucune de nos patientes n’était éligible au traitement conservateur du fait de la grande taille et ou des métastases au moment du diagnostic. En effet la chirurgie conservatrice n’est indiquée que pour les tumeurs de moins de 3 cm et non centrales (1). Les séquences thérapeutiques n’ont pas été respectées dans la majeure partie, du fait de la précarité et du stade clinique au diagnostic. Cependant, 82,4% (28/34) de la chirurgie était d’emblée en dépit de la nécessité d’une chimiothérapie première de réduction tumorale chez tous les patients. Dans la littérature, les tumeurs évoluées (T3, T4, N2, N3, tumeurs inflammatoires et à temps de doublement rapide) sont traitées par chimiothérapie première (1,4,19). Cette chimiothérapie première est suivie de traitement locorégional, puis chimiothérapie complémentaire (± hormonothérapie) (1). Huit chirurgies de propreté ont été réalisées devant des tumeurs nécrotiques nauséabondes et/ou hémorragiques. Cette chirurgie de propreté a été sujette à des récidives dans 28,6% des cas. Du fait du retard diagnostic, 94.3% des patientes étaient éligibles à une chimiothérapie péri-opératoire ou palliative. La chimiothérapie néo-adjuvante était indiquée dans 72,86% (n = 51) des cas (en dehors des cas de métastases et d’abstention thérapeutique). Seulement 29,41% (n = 15) l’avaient réalisé avec des intervalles inter-cures non respectés pour la majorité, du fait du coût élevé des cures et l’indisponibilité de certaines molécules. Un délai de consultation court aurait permis un diagnostic précoce, corolaire d’une chirurgie d’emblée curative sans adjonction de chimiothérapie en l’absence d’éléments cliniques et histologiques de mauvais pronostic. Cela aurait pu être bénéfique pour nos patientes et leur famille qui sont pour la plupart démunies et abandonnées à eux-même. Dans la littérature, la radiothérapie est indiquée en cas : de chirurgie conservatrice ou de mastectomie avec les éléments cliniques et/ou paracliniques de mauvais pronostic (sujet jeune, cancer de grade intermédiaire ou haut, taille tumorale importante, atteinte ganglionnaire, embole vasculaire, marges d’exérèses envahies) (1,14,20). Tous les cas de mastectomie étaient éligibles à une irradiation en dehors des situations de propreté mais une seule patiente a pu la réalisée soit 1,4% des cas. Cela se justifie par l’inaccessible financière et géographique de la radiothérapie dans notre pays. La mise en place d’une unité de radiothérapie fonctionnelle au Burkina Faso permettrait d’améliorer la prise en charge et le pronostic des patientes souffrant de cancer du sein. Pire encore, les thérapies innovantes (ciblées, nano-thérapies, immunothérapies, etc.) utilisées dans les pays développés pour le contrôle de la maladie cancéreuse et la potentialisation du traitement local, demeure du domaine de la profusion pour nos populations désemparées (1,4). La procrastination de la demande d’aide médicale conduit indéniablement à un diagnostic tardif des cancers du sein, avec une prise en charge complexe, onéreuse et un pronostic sombre. L’abstention thérapeutique a été observée chez 4 patientes ayant un cancer localement avancé ou métastatiques avec un statut performance OMS à 4. D’où l’impérieuse nécessité des campagnes de dépistage de masse gratuites et permanentes dans tout le pays, qui conduirait à un diagnostic de plus en plus précoce. Aussi la mise en place d’un centre de cancérologie avec unité de soins palliatif permettrait d’améliorer la fin de vie de ces patientes et soulagerait considérablement la famille. Des récidives locales et à distance post-opératoires ont été retrouvées chez 20,6% (n = 7) des cas. Notre constat est supérieur à celui rapporté par les auteurs gabonais (11) qui était de 16%. Ces récidives étaient liées à l’absence de traitement adjuvant pour maximiser les acquis de la chirurgie, surtout que dans certains cas les marges de résection n’étaient pas saines. Le taux de mortalité était 22%. Ce résultat est très supérieur à celui de Gentil-brevet (19) en France qui retrouvait 4,3%. Cela se justifie premièrement par le fait que notre étude a porté sur les cancers localement avancés ou métastasiques, également par le fait qu’en Afrique, le diagnostic du cancer du sein se fait encore à un stade tardif grevant ainsi le pronostic des patientes. Par contre, dans les pays dits développés, comme la France, le diagnostic est de plus en plus précoce avec plus de chance de contrôle de la maladie voire de la guérison.
CONCLUSION
Plus de la moitié des cancers du sein ont un diagnostic tardif. Les pesanteurs socioculturelles, l’ignorance, la peur, le bas niveau socio-économique et d’instruction ont été les principaux facteurs du retard diagnostic. Aussi, l’accessibilité des centres de santé et à un agent de santé qualifié dans la prise en charge des cancers du sein restent difficile pour la plupart de nos patientes. Les cancers du sein diagnostiqués tardivement ont une prise en charge plus complexe et onéreuse. Leur pronostic est d’avantage sombre, avec plus de récidive et de mortalité. Il est alors important de multiplier les sensibilisations aussi bien en milieu urbain que rural, de mettre en place les campagnes de dépistage en masse et de former les agents de santé sur la conduite à tenir devant toute masse du sein.
CONFLITS D’INTERET : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts.
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